Les historiens s'accordent pour dire que la Roumanie a connu l'une des dictatures les plus féroces en Europe de l'Est. De 1947 à 1989, le gouvernement communiste impose à la ville et à la campagne une nouvelle configuration qui - encore aujourd'hui - marque le paysage roumain.
(article paru dans Lâme Urbaine, Revue d'urbanisme et d'expression urbaine | n°4, janvier 2013)
Nicolae Ceausescu (1918-1989) |
La systématisation opérée par Nicolas Ceausescu (à droite) a voué le patrimoine historique urbain à une destruction massive, dont Bucarest a payé les frais les plus importants. Les édifices religieux religieux ont été massivement touchés par ce phénomène de destruction. Cependant Ceausescu appelé aussi "le grand architecte et dirigeant du pays" n'a pas réalisé une démolition totale du patrimoine religieux - peut-être a-t-il reconnu l'enjeu que pouvait représenter l'Eglise orthodoxe roumaine (en roumain, Biserica Ortodoxa Romana) pour l'unité du pays - et loin d'entreprendre la loi de la table rase, bons nombres d'églises ont survécu tant bien que mal, à la période communiste. Bien évidemment, pour ne pas rester en contradiction avec l'idéologie marxiste, les édifices religieux qui n'ont pas été détruits, ont été volontairement cachés de diverses manières et avec plus ou moins de réussites. Ainsi il n'est pas anodin au cours de promenades urbaines de trouver caché derrière des blocs d'une douzaine d'étages, des églises, voire des presbytères entiers.
C’est exactement ce que
l’on constate dans la ville de Brasov dans les Carpates Méridionales. Située en
Transylvanie, en plein centre de la Roumanie, il est très fréquent d’y trouver
des édifices religieux encerclés par des habitations, c’est le cas de l’église
de la Sainte-Trinité (Biserica Sfanta
Treime), où pour accéder à ce monument il faut tout d’abord passer par sous
un porche, puis entrer dans une cour pour enfin arriver au niveau d’une église
datant du XVIIIème , entièrement rénovée. Depuis la chute du communisme la
mention du nom de l’église est apparente sur le porche, mais auparavant rien
n’indiquait son emplacement. Ainsi elle ne fut pas détruite et resta
accessible, bien que le culte n’y était pas pratiqué (car interdit) sauf en
toute clandestinité. Ainsi l’église est encerclée d’habitations collectives. Il est intéressant de souligner
que l’église et le presbytère attenant ont été rénovés, tandis que les
habitations alentours restent dans un état de délabrement conséquent.
De même,
dans le centre civique (centru civic)
– ces nouveaux centres administratifs dont l’ensemble architectural et
urbanistique a été érigé par Ceausescu à partir de 1984 – on trouve l’église de
l’Ascension du Seigneur (Biserica Inaltarea
Domului) dissimulée par les blocs d’habitations collectives. Certains blocs
ont été démolis aujourd’hui et laisse un espace suffisamment grand pour
apercevoir l’église, mails il faut
imaginer que dans les années 1980, cette église
était invisible aux passants, seuls les habitants pouvaient la voir.
L’énumération d’exemples serait fastidieuse tant ils sont légions, mais il est
intéressant de voir comment le régime a agi pour faire disparaître de
« sa » vue ces édifices et quelles en sont les conséquences
aujourd’hui.
La revue Lâme urbaine est une revue réalisée par les étudiants de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Lille (IAUL). Elle s’enrichit des contributions d’étudiants de formations et d’horizons divers. A travers ses différents articles, ce sont les opinions, les descriptions et les apports des jeunes urbanistes qui sont offertes à la curiosité du lecteur.
L'Eglise de la Sainte-Trinité et son presbytère (à gauche) (T. Heckly) |
L'église de l'Ascension du Seigneur et les blocs (T. Heckly) |
En vingt ans, les édifices
religieux ont, en effet, prix une importance capitale pour les roumains (dont
90% se déclarent orthodoxes) et se veulent, plus ostentatoires que jamais.
D’ailleurs la reconstruction/rénovation du patrimoine religieux est un fait
marquant du paysage urbain. L’Eglise orthodoxe roumaine a réalisé réellement ce
que nous pouvons appeler des opérations de lobbying, en créant des pressions et
exerçant son influence sur les hommes politiques et plus concrètement sur les
pouvoirs publics afin, non seulement, d’obtenir la restitution du patrimoine
immobilier confisqué et sa rénovation, mais aussi en influençant la
construction d’édifices nouveaux et ceci entièrement financé par l’Etat. Dès
lors, l’Eglise orthodoxe de Roumanie est devenue le deuxième propriétaire
foncier au niveau national avec la possession d’un parc immobilier conséquent.
En tout, ce sont près de 4000 nouvelles églises qui ont vu le jour ces vingt
dernières années et actuellement la future plus grande cathédrale du pays est
en cours de construction. Construction dont le coût est estimée aux alentours
des 120 millions d’euros et dont la fin des travaux est attendue pour 2015.
Devant une telle
opulence, il n’est pas surprenant que les hauts dignitaires religieux aient à
subir la contestation d’une partie de la population qui, elle, doit supporter
les mesures d’austérité et voir sa qualité de vie diminuer progressivement. On
peut dès lors distinguer deux Eglises en Roumanie, l’Eglise comme institution
religieuse et l’Eglise comme « multinationale » faisant preuve
« d’autisme social » exerçant une main mise sur tout le patrimoine
foncier possible. Attention, en Roumanie, une Eglise peut en cacher une
autre !
Thomas Heckly
Quelques ouvrages et
articles ayant inspiré ce billet :
- SUDITU B., « L’héritage communiste dans la ville : appropriation et aménagement de l’espace urbain à Bucarest » in Espaces Géographiques et Sociétés, n°21, mars 2004
- Presseurop.eu : MIHU L., l’Eglise aux portes du Purgatoire [en ligne], consultable sur : http://www.presseurop.eu/fr/content/article/1147711-l-eglise-aux-portes-du-purgatoire
- Adevarul.ro : ANTONESEI L., Cât suntem de credinciosi [en ligne] consultable sur : http://adevarul.ro/news/societate/cat-credinciosi-1_50a7b8d07c42d5a66369f695/index.html
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La revue Lâme urbaine est une revue réalisée par les étudiants de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Lille (IAUL). Elle s’enrichit des contributions d’étudiants de formations et d’horizons divers. A travers ses différents articles, ce sont les opinions, les descriptions et les apports des jeunes urbanistes qui sont offertes à la curiosité du lecteur.